Interviu cu Dan Sperber, lingvist şi antropolog
Dan Sperber este unul dintre cei mai importanţi cercetători în domeniul ştiinţelor sociale şi cognitive. În lingvistică, este cunoscut în special pentru teoria relevanţei, o abordare cognitivă a comunicării umane pe care a dezvoltat-o alături de Deirdre Wilson şi care a născut direcţii noi de cercetare, dar şi numeroase controverse (La Pertinence, Communication et Cognition, Minuit, 1989; Relevance: Communication and Cognition Second Edition, Blackwell, 1995).
Pe Dan Sperber l-am cunoscut în 2009, la cursul de pragmatică pe care îl ţinea la Ecole Normale Supérieure şi Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales din Paris. Am vorbit despre viitorul scrisului şi al cititului, despre evoluţia mijloacelor de comunicare, despre televiziune şi despre Google-ul cel de toate zilele.
La transparence et l’opacité du langage
Ana Iorga : La linguistique est un domaine qui étudie le langage ou les langages. Mais cette définition a une résonance très générale. Comment explique-t-on aux non-connaisseurs qu’est-ce qu’on étudie en fait ?
Dan Sperber : L’impression générale d’un public plus large c’est que le linguiste est quelqu’un qui parle beaucoup de langues. Vous êtes linguiste, donc vous connaissez beaucoup de langues. Des idées un peu naïves sur ce que font les linguistes ! Il y a beaucoup de choses différentes les unes des autres. Si on veut répondre d’une façon qui recouvre le champ, il n’y a pas une réponse en quelques phrases. Si quelqu’un vous demande ce que vous faites, vous devez lui décrire le type de recherche dans laquelle vous vous êtes engagé en particulier et il faut donner quelques exemples de ce qu’on peut faire en sciences du langage.
A. I. : Croyez-vous que les gens en général sont suffisamment attentifs à la langue qu’ils parlent ?
D. S. : Le rapport à la langue varie beaucoup sur les individus. Il y en a ceux que la langue fascine. Il y en a ceux pour lesquels la langue est transparente, ils ne se rendent même pas compte qu’ils l’utilisent et il y a d’autres, au contraire, qui éprouvent une jouissance, un intérêt pour cet instrument. Les derniers ont une certaine conscience de sa présence. Et pour ces gens-là, qui ont ce type d’intérêt, le langage garde une certaine opacité. Ce sont eux qui sont attirés par la linguistique.
Le Maître Google
A. I. : La production scientifique et artistique est aujourd’hui immense. Comment peut-on trouver la clé d’un bon choix des informations et des produits culturels ?
D. S. : La méthode principale c’est Google, non ?
A. I. : Mais c’est un filtre, Google ?
D. S. : Oui, c’est un filtre. Non pas un filtre au sens d’une sélection, mais cela donne un ordre, c’est du réel qui est dedans. On tape une expression sur Google et on a 62.427 entrées, mais on ne regarde que les premières ou une dizaine. Et l’ordre dans lequel elles sont présentées, c’est Google qui l’a déterminé. Donc ce n’est pas un philtre du type « ça c’est bon, ça c’est mauvais », mais la mise en ordre joue un rôle semblable. Je n’ai pas une réponse simple. Prenons l’exemple de l’Internet. C’est une apparition très récente. Pendant les premières années il y avait beaucoup moins d’information et néanmoins c’était beaucoup plus difficile à trouver l’information bonne. On perdait également beaucoup plus de temps à chercher. Les méthodes de recherche étaient moins efficaces pour mettre en avance l’information utile. Avec le développement extraordinaire de l’information disponible en ligne il y avait aussi des mécontentements exprimés par beaucoup. On ne savait pas comment filtrer l’information, on n’avait aucun moyen de trier le bon du mauvais. Cette opinion était exagérée, mais cela reste un problème. On trouve assez facilement peut-être pas la meilleure information, mais de bonne information sur un sujet qui nous intéresse. Et avec un peu de savoir faire et d’exigence intellectuelle, on ne se trompe pas. Dans l’ensemble, c’est une espèce de coévolution de l’accumulation de l’information – on aurait pu penser qu’on est complètement perdu, qu’on ne saurait quoi faire avec – et des moyens de faire son chemin, de trouver ce qu’on y cherche.
A. I. : Cela veut dire que la croissance de la quantité d’information peut aussi nous aider à développer nos propres instruments de recherche et de sélection ?
D. S. : Quand j’étais étudiant, si on voulait s’informer sur un sujet, il fallait passer par la bibliothèque, il fallait savoir s’en servir, il y avait des instruments bibliographiques, on avait des cours entiers pour apprendre une méthodologie de la recherche. On trouvait beaucoup moins de choses et elles n’étaient pas disponibles, elles étaient quelque part ailleurs, dans une autre bibliothèque, à Bucarest ou à Washington. C’était donc beaucoup plus difficile et il y avait également beaucoup de mauvaise information, de mauvais livres. La situation s’est énormément améliorée ; la façon de s’informer est toujours un problème à résoudre, mais les moyens de résoudre ce problème se sont développés en même temps que la quantité d’information. Il n’y a pas un déclin. On ne va pas penser qu’avec l’augmentation énorme de l’information il y a une dégradation de notre capacité à trouver ce que nous cherchons. Les moyens de trouver ce que nous cherchons ont augmenté à la même vitesse que l’information elle-même.
Créer du texte par la parole
A. I. : Dans L’avenir de l’écriture (2002) vous faites une prédiction intéressante : la disparition de l’écriture, c’est-à-dire de la production par écrit et la survie de la lecture. On voit bien qu’il existe déjà des programmes qui transforment la parole en écrit. Croyez-vous vraiment qu’on perdra la fascination du texte écrit à la main ou tasté sur les touches ?
D. S. : La voie de transformation viendra lorsque l’interaction verbale avec les machines sera complètement fluide. Pour l’instant, ce n’est pas encore une tendance. Au lieu de taper, vous allez dicter à votre ordinateur, cela comportera une possibilité intéressante, je ne dis pas qu’on ferra cela systématiquement, mais cela aura certainement des avantages, en particulier pour des gens qui ne pratiquent pas l’écriture avec beaucoup de facilité. Nous, les universitaires, nous écrivons tout le temps. Mais il y a des gens qui écrivent peu. Et quand ils écrivent, c’est un effort particulier. Et s’ils peuvent produire de l’écrit en parlant, ils auront un grand avantage. Je pense qu’à partir du moment où la transcription de la parole en écrit se ferra très facile la pratique des mouvements de la main ou le mouvement sur le clavier ont une bonne chance de devenir assez obsolètes. Ceci se passera moins vite pour les intellectuels qui écrivent tout le temps que pour le public large qui sera très content. On ferra au fond du langage écrit presque du langage de machine. C’est quelque chose d’important pour les analphabètes, qui pourront utiliser le langage écrit comme un langage machine. Pour les gens qui travaillent sur le texte, qui produisent du texte, qui écrivent des articles, je pense que l’écriture continuera à exister. On va vivre dans les 20 ans qui viennent la fin de ce rapport privilégié entre le texte et le papier.
Les séminaires de Lévi-Strauss
A. I. : Vous avez connu Claude Lévi-Strauss, il vous a invité à présenter un article que vous avez publié en 1968, dans 3 séances de son séminaire. Comment s’est passée votre première rencontre avec lui ?
D. S. : Je n’ai pas été un disciple de Lévi-Strauss. Il avait un séminaire d’anthropologie qui était fait d’exposés des jeunes chercheurs. J’ai suivi quelques cours au Collège de France. Je l’ai rencontré tête à tête deux fois ou trois fois, il était assez distant, mais très gentil. Quand j’ai suivi son séminaire, j’étais déjà chercheur au CNRS.
La télévision, une technologie largement dépassée
A. I. : En 2005, Claude Lévi-Strauss exprimait son inquiétude vis-à-vis de l’évolution des espèces et de la société humaine, dans une affirmation qui semble décourageante : « L’espèce humaine vit sous une sorte de régime d’empoisonnement interne – si je puis dire – et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime ». Qu’en pensez vous ?
D. S. : C’était sa vision du monde. Moi, je suis plus positif, plus optimiste. Ce qui préoccupait Lévi-Strauss en particulier c’était cette espèce d’unification du monde qu’il voyait comme une perte pour la diversité, comme étant ce qui fait la richesse humaine. Et à partir du moment où tout le monde communique avec tout le monde cela se perd au profit d’une espèce de médiocrité générale, au profit d’une culture et d’une condition humaine appauvries.
Ce qui me frappe c’est comment on a, d’une part, une relative délocalisation des réseaux culturels, des personnes qui interagissent tous les jours, qui sont dans un voisinage immédiat, sont un peu partout sur la terre. Dans un département universitaire, vous envoyez des e-mails à la personne qui est à côté de vous et à quelqu’un qui est à Chicago et, au fond, il n’y a pas de différence. Donc la distance locale perd beaucoup d’importance, mais cela ne conduit pas pourtant à une unification, à un unique réseau où tout le monde se mélangerait. Se créent, au contraire, des tas de nouveaux réseaux, de nouvelles communautés culturelles, délocalisées, ce qui me paraît une bonne chose, parce qu’il y a un lien étroit entre la culture et le lieu d’autres espèces d’identités collectives rivales les unes avec les autres, vindicatives, qui justifient les guerres, les massacres. Il y a là un des nombreux livres que j’aimerais écrire, sur les identités collectives, où tout va ensemble : la langue, la terre, la parenté, la religion, la nourriture. Une fois qu’on a tout ensemble, on n’est plus des voisins. Si vous avez un réseau pour la nourriture, un autre pour la parenté, un autre pour votre vie intellectuelle, un autre parce que vous êtes amateur d’un certain genre de poésie, qui va faire la guerre à qui ? Je simplifie, évidemment. Je pense que la mise en réseau de toute l’humanité entraîne la constitution d’une pluralité de réseaux autonomes les uns par rapport aux autres qui développent chacun leur propre culture, leur propre ensemble d’intérêts, de compétences, de savoir partagé, et, du coup, la diversité n’est pas perdue, elle se réorganise, mais de façon différente. Donc ce souci qui avait Lévi-Strauss, je ne suis pas convaincu qu’il existe. Cela date de l’époque de la télévision, une technologie largement dépassée, il y avait un émetteur et énormément de récepteurs. Tout le monde recevait le même message.
La télévision ce n’est pas l’avenir, c’est, au contraire, une technologie transitoire, qui est très imparfaite justement à cause du déséquilibre entre très peu d’émetteurs et une quantité énorme de récepteurs. A partir du moment où tout le monde pourra émettre aussi bien que recevoir, cette espèce de déification de la télévision disparaîtra et nous y sommes. Donc je ne pense pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, il y a des choses qui vont très mal, il y a des tas d’inquiétudes qu’on peut avoir sur l’avenir de l’humanité et de la planète, mais ce qui préoccupait Lévi-Strauss, cette espèce de médiocrisation de la condition humaine, de cela je ne suis point convaincu.
Je suis toujours en retard avec toutes les deadlines
A. I. : Avec vos recherches, vous êtes plutôt un travailleur discipliné ou un bohème ? Quelle est la source des bonnes idées ?
D. S. : Je ne suis pas très discipliné. Je travaille beaucoup, mais je fais ce que j’ai envie, quand j’ai envie. Par exemple, je suis toujours en retard avec toutes les deadlines.
A. I. : C’est plus productif de cette façon ?
D. S. : Non, si j’étais un peu plus discipliné, ce ne serait pas mal. Mais je n’essaye pas non plus de combattre avec moi même. Parfois je m’amuse trop, je trouve des choses intéressantes, le soir je me dis : « Tiens, j’ai trouvé des choses intéressantes ! ». Et je suis content ; si je n’ai pas fait les choses que j’aurais dû faire ce jour-là, tant pis !
Sursa foto: olivierroller.com